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Photo du rédacteurUgo Bessière

Colère du monde agricole : viser les bonnes cibles

Depuis le début de l'année, des agriculteurs et agricultrices se mobilisent à travers l'Europe pour alerter sur les difficultés qui se multiplient et dénoncer des pratiques qui “leur lient les

mains dans le dos”. En France, le mouvement a commencé le 18 janvier, prenant le relai des actions "on marche sur la tête" de la fin d'année 2023. Pour redonner son autonomie et sa dignité au monde agricole, il est impératif de dénoncer les vrais responsables et de faire

bifurquer le système.


Un monde agricole sous tension, un système vulnérable


Triste abandon que celui du monde agricole. Dans notre pays 100 000 fermes ont disparu

en 10 ans, 18% des agriculteurs sont sous le seuil de pauvreté avec un taux de suicide de

40% supérieur à la moyenne nationale. Non valorisé financièrement, peu reconnu, le métier

peine à attirer.


En parallèle, bien loin des ronds de jambe du salon de l'agriculture, chacun comprend que le

colosse tient sur des pieds d'argile. 21% de notre alimentation est importée, fortement

dépendante aux soja, fossiles et gaz étrangers nécessaires aux engrais et transports.

Comment protéger efficacement nos agriculteurs si à la moindre inflation ou crise

géopolitique, c'est toute une filière qui se retrouve en tension (à l'instar des pêcheurs

artisanaux qui ont subi l'augmentation du prix du carburant de plein fouet) ?


La faute à la concentration des richesses plutôt qu’à la protection environnementale


La FNSEA, qui a validé et même accompagné l'ensemble des dérives de l'agro-business

n'assume pas et oriente cette colère contre les lois de protection de l'environnement et de

partage équitable de l'eau. Comme à chaque fois que le bât blesse, les responsables de ce

désastre cherchent à détourner l'attention sur l'écologie. Mais la ficelle devient trop grosse,

on a tant tiré dessus qu'il n'y a plus de mou.


D'autres organisations, comme le mouvement des éleveurs (MODEF) qui regroupe des

exploitations familiales à taille humaine, mettent plutôt en avant les mastodontes de

l'agroalimentaire comme Lactalis qui ne respectent pas les règles Egalim garantissant des

revenus justes pour les paysannes et paysans (Lactalis vient d'imposer une très forte baisse

du prix d'achat du lait, 405€ pour 1.000 litres soit moins que le coût de production de 450€).


2 tracteurs sont devant le conseil départemental
Manifestation le 25 janvier 2024 à Nantes

Valoriser le travail agricole d'intérêt général


“La faute aux normes” : pour entendre la colère d’une majorité du monde agricole, encore

faut-il la comprendre. Cette protection de l'environnement doit-elle reposer sur la seule

responsabilité des agriculteurs ? Absolument pas. À partir du moment où les efforts de protection de l'environnement sont vécus comme une contrainte, nous avons tous perdu.

C'est bien d'abord aux politiques publiques nationales, européennes, locales, de valoriser et

favoriser un travail qui prend soin. Celles et ceux qui font l'effort de rendre des services

écosystémiques au pays (protection de l’eau, développement de haies, pratiques sans

pesticides…) devraient pouvoir être rémunérés pour ces missions d'intérêt général qui

évitent des coûts massifs à la société (des frais de dépollution, de santé, qui se chiffrent en

milliards d'euros). À l'instar de la Suède, qui a fait passer sa SAU en bio de 7% (part actuelle de la France) en 2005 à 20% en 2018, le développement des pratiques agro-environnementales

ne doit pas reposer sur les seuls consommateurs et la demande mais bien sur une politique

publique d'investissement nationale qui finance les services rendus.


Par ailleurs, les agriculteurs et agricultrices travaillent directement en lien avec la nature, ils et elles seront les premières victimes des déséquilibres à venir. Les surcoûts liés à l'inadaptation climatique sont déjà évalués à un milliard d'euros. Leur productivité et solvabilité sont directement dépendantes du dérèglement climatique, de l'effondrement de la biodiversité, et de la mise en tension de l'accès à l’eau.


Une situation de crise inédite, fruit de décennies d'inaction


Ça crève les yeux. Le mal qui ronge le monde agricole depuis plusieurs années est dû à une

ultra-modernisation libérale, avalisée par le syndicat majoritaire, qui se caractérise par une

intensification en capital (et les emprunts correspondants avec la spirale d'endettements

qu’on connait) et un foncier toujours plus inaccessible (ce qui empêche les installations et

concentre le pouvoir chez les plus gros exploitants). Que dire de la Politique Agricole

Commune (paquebot de 9 milliards d'euros) dont la subvention à l’hectare favorise les plus riches - qui sont aussi les moins vertueux - et la course folle à l'agrandissement, en laissant la part du pauvre aux MAEC (mesures environnementales financées par les pouvoirs publics) et à la bio.


Nos agriculteurs et agricultrices ont besoin de protection.. A l'instar des préconisations de la confédération paysanne, voici des mesures que nous soutenons :


  • L'arrêt définitif des négociations de l'accord de libre-échange UE-Mercosur, un moratoire sur tous les autres accords commerciaux en négociation et un réexamen de tous les accords en vigueur. Cette concurrence déloyale met la pression sur les prix des agriculteurs, y compris au sein de l'Union Européenne. Pour rappel l'extrême-droite qui essaie de récupérer la colère des agriculteurs a voté tous les accords de libre-échange.

  • Une loi interdisant enfin l'achat des produits agricoles en-dessous de leur prix de revient. Alors que les marges de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution vont croissantes, la proposition de loi portée par la gauche pour des prix plancher fixés en fonction des coûts de production a été rejeté par les autres députés. La mobilisation des agriculteurs et agricultrices vient justement d'aboutir à une interdiction de la vente à perte chez notre voisin espagnol

  • La mise en place d'une exception alimentaire européenne, à l’instar de ce qui existe déjà en termes d’exception culturelle (prix du livre), devrait permettre de sortir l'alimentation des règles des marchés publics européens et nationaux afin de pouvoir cibler les productions locales dans la commande publique de la restauration des collectivités.


Réorienter le paquebot PAC vers la résilience alimentaire


Le problème, ce n’est donc pas les lois environnementales, mais bien le système de

dépendance à l'industrie chimique, fossile et agro-alimentaire qui écrase les paysan·nes (et

met en danger notre sécurité alimentaire sur le moyen et long terme) orchestrée par les

gouvernements successifs de droite libérale.


Cette même logique de marché qui empêche nos établissements de restauration collective

de flécher des productions locales de qualité dans les marchés publics, et de sanctuariser

du foncier agricole le temps que des jeunes puissent s'installer pour éviter l'agrandissement

et le basculement vers des usages non nourriciers.


Dans une communication récente, la Commission Européenne a alerté sur le manque de

préparation de la France pour assurer sa sécurité alimentaire. Pourtant c'est bien la Politique

Agricole Commune, soutenue et mise en place par les gouvernements français successifs,

qui en est la première responsable. L’union Européenne reste une chance qu’il faut saisir

pour changer en profondeur notre modèle agricole. Les élections européennes en juin

seront une aubaine à ne pas louper pour ainsi envoyer le plus de député·es possibles qui

pourront infléchir la trajectoire.


Les écologistes dénoncent depuis des décennies un système qui marche sur la tête, qui

appauvrit les terres et les humains. Ils et elles n’ont jamais été au pouvoir. Ce sont pourtant les

meilleur·es allié·es des agriculteurs.



Propositions du groupe écologiste pour le Pacte et la Loi d’Orientation et d’Avenir Agricole :















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